Un ami écrivait il
y a quelques jours que la colère n’excusait pas tout. Et il avait raison. En
effet, la colère n’autorise pas la méchanceté gratuite, l’insulte, encore moins l’expression des préjugés racistes, sexistes et homophobes.
Pourtant, la
colère est nécessaire, salutaire, vitale, comme la faim. C’est un besoin de
l’esprit qui bout ! Et si elle est une courte folie, elle en possède
l’éclat lumineux qui permet de démasquer les postures et les impostures du
théâtre social.
Hier, en regardant
le film documentaire du réalisateur Feras Fayyad sur le martyre de la ville
d’Alep, j’avoue avoir été submergé par cette saine colère que provoquent
immanquablement la vision de l’injustice du monde et la certitude que les états
occidentaux sont immoraux. Face à la réalité crue de la guerre, des murs en
lambeaux, des immeubles éventrés, des tas de gravas qui mélangent dans une même poussière grise les reste de béton et
de corps humains, comment ne pas être d’abord accablé, et ensuite
révolté ? Oh oui, révolté contre notre propre pusillanimité, nous tous qui
nous perdons dans l’insignifiance des relations factices, qui nous enfonçons
dans la moelleuse inconsistance de nos vies de petits-bourgeois égoïstes et
gâtés, nous qui préférons cultiver nos petits jardins même pas secrets plutôt
que de lever un peu les yeux. Et voir l’humanité qui se noie ici à nos pieds,
dans l’eau saumâtre, jadis Mare Nostrum, aujourd’hui cimetière marin, où nous
allons barboter cet été ; là-bas, pulvérisée, déchiquetée par des bombes
dont un éminent homme de gauche qui se veut le Jaurès du XXIe siècle, a osé prétendre qu’elles allaient anéantir la
menace Daech… Et que c’était donc très bien ainsi. Oui, ma colère a été
d’autant plus vive que je me suis souvenu de ces propos sortis de la bouche de
celui qui accompli la prouesse d’être à la fois un vieux stalinien et un
gauchiste infantile ! Les civils et les rebelles d’Alep sont aussi proches
de l’Etat Islamique que moi de l’Opus Dei… Insoumission de pacotille !
Mais oublions les
tristes sires, les tribuns de mauvais péplums, les futurs parlementaires en
marche ou au garde à vous, et toute l’armée des cyniques, et réjouissons-nous
du courage authentique de Khaled. Lui est un exemple, un humain qui nous prouve
qu’il ne faut pas désespérer, jamais, et qu’il faut se battre inlassablement,
humblement, pour un monde meilleur, enfin débarrassé de la canaille affairiste
et du cancer du nationalisme étroit et du fanatisme religieux. Khaled est un
simple père, un mari, confronté à ce « qu’aucun être humain ne peut
supporter », au « chaos » comme il dit en fumant une cigarette
sur le toit précaire d’un bâtiment en ruines… Il ne dort plus, ou presque, il
regarde au loin un missile en train de se fragmenter sur tout un quartier en le
zébrant d’éclairs dorés, il fonce dans son vieux camion qui surchauffe, il
s’accorde un instant de jeu avec sa fille, il improvise un aquarium dans une
vieille fontaine, il se dit qu’il devrait partir en Turquie, sans y parvenir.
Il est né à Alep, et il y mourra… Lui et ses amis sauvent parfois des vies
ensevelies, ils creusent à mains nues à la lumière des braseros, mais souvent
ce ne sont que des morceaux qu’ils extraient des décombres. Une dernière nuit,
seul, juste éclairé par l’écran bleuté de son portable, Khaled écoute sa fille
qui lui dit « je t’aime papa ».
Je pleure en
voyant son corps inerte, son visage maintenant paisible. Je sais que je ne
l’oublierai pas. Khaled.
Honte à nous, honte à notre lâcheté, et que la colère des gueux emporte toute cette fange !
Honte à nous, honte à notre lâcheté, et que la colère des gueux emporte toute cette fange !