samedi 18 février 2017

Je lui dirai les nuits bleues

Cet été, il fait terriblement chaud.

Chaque nuit, on est obligé de laisser les portes-fenêtres ouvertes, mais aucun air ne passe. La mer ressemble à un grand lac noir qui fait des éclats brillants quand la lune est dans le ciel. C’est calme, et j’aime bien me poster sur la terrasse, et regarder le feu clignotant du phare des Sanguinaires. Et sentir la chaleur sur mes bras, sur ma nuque, c’est une sensation étrange et agréable qui fait que je pense à rien…

Maman me douche deux ou trois fois, et je sèche tout de suite ! Alors, je reste en slip sur mon lit, et je m’endors tout gluant de la transpiration qui revient.

La journée, c’est simple. J’attends avec Flore et Séverin que la chaleur diminue un peu. Je m’ennuie tranquillement, je joue, mais comme j’ai pas grand chose pour jouer, je sors et je vais me balader dans la colline au dessus de l’immeuble. Dans le maquis, je fais des formes avec des brindilles sur le sol en poussière, j’observe les fourmis qui ne s’arrêtent jamais. Des fois, j’en écrase quelque unes, mais elles continuent leur chemin. C’est étonnant ça. Mes veines des mains sont énormes, et je les touche, les fais rouler, et à ce moment Maman appelle. C’est l’heure de la plage. Allez hop, on embarque tous dans la Lada. Aïe, la vache, à chaque fois c’est pareil, j’ai les cuisses qui brulent sur la banquette. Etale ta serviette ! Ah oui, c’est vrai, j’oublie tout le temps. Enfin, on sent que ça brule quand même. Je préfère quand on va à Barbicaja, mais maman dit l’Ariadne parce qu’il y a plus de place. Je cherche si Nathalie, Sophie, ou Gaëlle sont là… C’est surtout Nathalie qui m’intéresse, et je la vois parfois, vers le Neptune, mais j’ose pas aller lui dire bonjour. Tant pis, je mets mon masque et je vais à mon rocher. Je flotte, la tête dans l’eau, je me laisse bercer, c’est génial parce qu’il y a des oursins et des tomates de mer. Là, faut faire très gaffe. J’en ai jamais touché mais on dit que c’est super dangereux. Tiens, un poulpe. Bon, j’ai faim. Je mange mes Edition Spéciale qui sont tout mous dans mes doigts mouillés et qui sont salés dans ma bouche. Là-bas, je suis sûr que c’est Nathalie. A la rentrée, on va se retrouver en CM2.

Le soir arrive, et je regarde les étoiles. Qu’est-ce qu’elles scintillent, y en a plein partout, c’est incroyable. Oh, une étoile filante !

Boum !

Et boum !

Je l’ai bien entendu celui-là.

Maman vient me voir. Elle me dit de rentrer dans la chambre. Ne t’inquiète pas, ça doit être une nuit bleue. Je m’inquiète pas, c’est beau une nuit bleue.

Il fait chaud tout le temps, ça s’arrête jamais.

J’ai l’impression que l’été va toujours durer. J’adore cette idée. Le soleil qui chauffe le corps, et après les nuits où j’écoute les insectes qui font ksi ksi. Et puis d’habitude, j’ai pas le droit de me lever, mais là je peux aller boire, et même un peu parler à Maman.

Un gros gros boum me fait sursauter !

Papa et Maman sont debout, juste en culotte pour Maman, et Papa est tout nu. C’est chez nous ils disent. Où est la porte demande Maman ? On a plus de porte, elle est tombée, et celle des voisins en face est tombée aussi. Tous les gens de l’immeuble sont réveillés. C’est le monsieur et la dame du troisième étage qui ont eu le pain de plastic. Lui, il travaille à EDF d’après Papa. Ah, bon…

Pain de plastic, ça, c’est mystérieux. J’essaye d’imaginer, mais j’ai du mal. Une baguette en plastique. Et pourquoi ça fait exploser les portes ? Faut avouer, c’est compliqué.

Maman a fait des glaçons avec de l’eau et du sirop dans son bac Tupperware. J’adore ! Après, je me promène dehors et je cherche des passages secrets, ou un trésor au milieu des racines. Dans mon idée, il doit bien y en avoir un quelque part. Le soir, en revenant de la plage, Maman et Papa nous parlent tous les deux. Ils sont sérieux car ils disent qu’on doit bien écouter. Alors voilà, on est des continentaux, et ça peut nous arriver aussi le pain de plastic. Papa explique qu’en travaillant à la DDE, et en plus en faisant son machin sur les POS, et ben ça peut vraiment nous arriver. Mais nous, on est pas des cons de droite, on est pour la langue corse, on chante libertà, et puis merde (il hurle un peu), merde, je suis franc-maçon, et tu sais très bien (là, il parle à Maman) que dans la loge, on discute avec les nationalistes, alors ils vont pas nous emmerder, quoi, avec leurs conneries !

Encore un nouveau truc. Franc-maçon. C’est pas aussi joli que nuit bleue, mais c’est bizarre comme le pain en plastique. Surtout que Maman a toujours dit que papa était fonctionnaire, et pas maçon.

Bon, avec toutes leurs histoires c’est moins rigolo. Maman, ce matin, elle est fatiguée. Elle me dit qu’elle a peur quand elle passe devant la porte après 22 heures. Et Papa, quand il rentre du travail, il est silencieux, ou il s’énerve. Il montre à Maman un papier. C’est des gens de l’immeuble qui l’ont reçu. Celui de l’EDF. Et un autre aussi. C’est marqué qu’il n’y aura plus d’avertissement, et que maintenant ça sera l’élimination physique ! C’est Papa qui lit, et il a une drôle de tête. On va peut-être déménager finalement. Je regarde et je vois quatre grosses lettre noires en bas : FLNC. C’est quoi FLNC ? C’est comme en Algérie, mais ils ont rajouté un C.

Ca m’avance pas beaucoup. Mais partir, ça m’inquiète un peu. On va aller où. C’est vrai, ils disent tout le temps que c’est le plus bel endroit au monde, moi je suis d’accord, et il va falloir partir ! Pfff… C’est trop injuste.

Aujourd’hui, on va chez des amis qui habitent de l’autre côté du golfe, ils ont une fille, Vannina, que j’aime beaucoup. Elle est très bronzée, et elle a les cheveux blonds, c’est beau. Et elle habite dans une maison avec un grand jardin en pente plein d’arbres. La nuit on retourne à la maison. Sur la route, juste en arrivant sous le Chypre, il y a un barrage de police. Je les vois pas bien les policiers, j’ai mal aux yeux avec leurs lumières. Ils parlent en étant méchants je trouve. Ils ont des mitraillettes, ça j’en suis sûr.

Boum… Boum…

BOOUUMMMM !!!

Ca sent une drôle d’odeur. En fait, ça pu. C’est le plastic dit Papa. J’entends Séverin, il pleure mais maman est avec lui. Enfin je pense, parce que je la vois pas. Avec Papa et Flore, on va à la porte, et on trouve des bouts de bois partout. Y a de la fumée dans toute la cage d’escaliers. Je respire mal, et Maman arrive et dit viens avec moi sur la terrasse. C’est marrant, on dirait que tous les gens de la résidence sont sur leur terrasse. Je les entends parler, et les sirènes sont de plus en plus fortes. Personne ne dort avec tout ce bazar.

Ce matin, à la radio ils disent que ça été une très grosse nuit bleue, la plus belle de l’été.

Je croyais que c’était arrivé chez nous, et bien non. Maman m’amène chez les voisins juste au dessus, au huitième. C’est carrément impressionnant. Tout l’appartement est pulvérisé ! La voisine dit madame B., regardez, les morceaux de porte ont traversé les murs, là, et là. Et dans la chambre de Valérie, à dix centimètres de son lit ! Vous vous rendez compte, c’est un miracle, un miracle je vous dis !

En tout cas, Papa avait raison, on a rien eu du tout nous, à part les portes en miettes à cause des autres, et maintenant je suis en CM2, et il fait toujours aussi chaud, pour l’instant.

Maman rit, et ça me fait vraiment plaisir, car depuis que Papa est parti et qu’on habite à Nancy, ça lui arrive pas souvent. Je la vois plutôt pleurer, même si elle essaye de se cacher. Là, elle se marre et elle me montre un courrier que la Poste à fait suivre depuis Ajaccio. Elle me dit : regarde, on a reçu notre premier courrier du FLNC, à notre nom ! Dedans, ils disent que comme on est des continentaux, on a pas le droit de voter aux élections régionales. Je suis pas certain de bien comprendre, mais je suis heureux de rire avec elle.

1 commentaire:

  1. Chère Cécile F., je te remercie sincèrement, et je suis heureux que mon petit texte t'ait plus et que tu y ait trouvé une certaine vérité. J'ai toujours essayé d'écrire, sans jamais y parvenir bien entendu, jusqu'au jour où j'ai compris (grâce à de nombreuses lectures et à l'aide involontaire de Jean-Louis Fournier et de Sorj Chalandon) qu'il me suffisait de raconter des (mes) histoires le plus naturellement possible, et juste pour le plaisir… Encore merci pour ton agréable commentaire, Guilhem B.

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